Le Medef aime les propositions-chocs. Sa dernière revendication: pouvoir licencier sans donner de motif. Pierre Gattaz, son président, veut même que la France sorte de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour y parvenir. Pourtant, cette possibilité existe en partie dans le Code du travail via la rupture conventionnelle. Mis en place en 2008 au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce dispositif permet de négocier avec le double consentement du salarié et de l’employeur une rupture du contrat de travail. Et ce sans avoir à donner de préavis ou de motif de licenciement. Cela permet aux entreprises de contourner les rigidités du droit du licenciement. Et elles ne se privent pas pour utiliser cet outil qui a permis de flexibiliser le marché du travail.
Aujourd’hui, ce type de rupture de contrat représente 30% des fins de CDI. Fin 2013, plus d’1 million de ruptures conventionnelles avaient été signées cinq ans après sa création. En juillet dernier, leur nombre a grimpé à plus de 33.000. Un record historique.
Mais derrière cette success story tant plébiscitée par les entreprises se cache une autre réalité. Celle du coût très important pour les caisses de l’assurance-chômage, déjà déficitaires de 4 milliards d’euros en 2013. Les grandes gagnantes du dispositif sont les entreprises. D’ailleurs, Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, défend bec et ongles la rupture conventionnelle. « Il faut absolument que ce dispositif soit maintenu »,affirme-t-elle.
A l’origine, la rupture conventionnelle n’était pas dans les plans de Nicolas Sarkozy en 2007. Lui voulait instaurer le contrat unique. Mais devant l’opposition des syndicats, un compromis, sorte de victoire à la Pyrrhus pour le patronat, a été trouvé : la rupture conventionnelle. « Elle a clairement été instaurée pour fluidifier le marché du travail. En outre, elle visait à offrir une alternative au licenciement économique ou personnel, et à la démission », précise Bertrand Martinot, économiste, ex-conseiller social à l’Elysée de l’ex-président.
Car, s’il y a bien une chose que détestent les patrons, c’est le risque d’être attaqués aux prud’hommes suite à un licenciement. Selon une étude publiée en mars 2014 par le Centre d’étude de l’emploi (CEE), environ 170.000 nouvelles affaires sont ouvertes tous les ans. « Cela explique le recours aux embauches en CDD et le succès de la rupture conventionnelle, où les litiges sont beaucoup moins nombreux », analyse Lucien Flament, avocat spécialiste en droit social. « L’instauration de ce nouveau type de rupture de contrat a permis de mettre fin à l’insécurité qui plane sur les entreprises françaises », se félicite Geneviève Roy.
Avec la rupture conventionnelle, l’employeur n’a pas besoin de donner de motif pour se séparer de quelqu’un. Mieux, il n’y a pas de préavis de licenciement et le délai de rétractation n’est que de quinze jours. Il suffit simplement de remplir un formulaire, très succinct, signé par les deux parties, et de l’envoyer à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Celle-ci donne ensuite son aval. L’avis est positif dans 94% des cas.
Cette flexibilité nouvellement acquise fait les beaux jours des petites et moyennes entreprises (PME) « moins armées que les grosses sociétés pour assumer les risques de poursuites liées à un licenciement », constate l’avocat Lucien Flament. Un constat partagé par Olivier Michel, directeur de la petite entreprise de 28 salariés Autocars N&M, à Lyon. « Une procédure aux prud’hommes est longue et coûteuse. Au moins, avec la rupture conventionnelle, on peut se séparer de quelqu’un à l’amiable », assure-t-il.
L’attrait des entreprises pour la rupture conventionnelle a été renforcé par la crise économique qui frappe la France depuis 2008. Comme le souligne une étude du Centre d’études de l’emploi pour la CFDT datant de juillet 2012, dans 61% des cas, le souhait de rompre le contrat est à l’initiative de l’employeur. Pis, dans 40% des cas, le vrai motif serait un licenciement économique. « Les salariés parlent d’ailleurs clairement de licenciement caché ou déguisé », notent les auteurs.
C’est ce qui est arrivé à Christophe, 28 ans. Jusqu’en septembre, il travaillait dans une PME établie dans la région lyonnaise. Mais avec le ralentissement de l’activité, le patron a émis l’idée de réaliser une rupture conventionnelle. Chose qu’il a acceptée sans rechigner. « Je n’ai pas eu vraiment le choix. L’entreprise avait des problèmes économiques », témoigne-t-il. Toujours selon l’étude du CEE, juste après la rupture conventionnelle, 60% sont à la recherche d’un emploi. Tout le monde s’en accommode, car la grande nouveauté, c’est que la personne qui signe une rupture conventionnelle a le droit de toucher l’assurance-chômage. Conséquence : « La mesure revient très cher à l’assurance-chômage », observe Pierre Cahuc, professeur d’économie à Polytechnique.
C’est particulièrement vrai pour les préretraites. Devant le coût des plans maison pour se séparer des plus de 55 ans, les entreprises ont cherché à faire financer par l’assurance-chômage les préretraites en multipliant les ruptures conventionnelles. Elles représentent plus de 25% des cessations de contrat chez les 58-60 ans. Ces derniers, pour qui la période d’indemnisation est de trois ans au lieu de deux pour les moins de 50 ans, sont ensuite pris en charge par l’assurance-chômage jusqu’à leur retraite. Certes, le dispositif a été durci en juillet avec l’entrée en vigueur de la nouvelle convention chômage. Le délai de carence a ainsi été porté à cent soixante jours au lieu de soixante-quinze. Mais « la rupture conventionnelle est encore largement utilisée pour gérer l’équilibre des âges au sein des entreprises », raconte un conseiller des ressources humaines d’un grand groupe.
Du côté des salariés, on sait également utiliser ce type de contrat pour un congé sabbatique de plusieurs mois. Le tout, bien sûr, en percevant le chômage. « Il faut bien voir que les salariés, eux aussi, ont intégré les avantages de la rupture conventionnelle. A ce titre, cette dernière illustre bien la grande tendance de l’individualisation des comportements face à l’entreprise », confirme Gérard Taponat, responsable des ressources humaines de Manpower et directeur d’un master à Paris Dauphine. Preuve que le dispositif a trouvé sa place en France, un député radical de gauche, Alain Tourret, a récemment proposé d’instaurer la rupture conventionnelle dans la fonction publique.