intérim et recrutement

Travailleurs détachés: vers des contrôles renforcés



Pour lutter contre les abus liés au détachement de travailleurs étrangers, en particulier dans le bâtiment, le gouvernement a promis lundi 27 octobre la création d’une carte d’identité professionnelle pour les salariés et des contrôles plus ciblés, mais face à l’ampleur du problème, ces mesures laissent le patronat et les syndicats dubitatifs.

Le ministère du Travail estime à 300.000 le nombre de travailleurs détachés « en règle » en France, un chiffre qui a quasiment doublé en deux ans.

La directive européenne sur le détachement, qui date de 1996, prévoit que les cotisations sociales sont dues dans le pays d’origine. De fait, même lorsque les règles sont respectées, faire appel à un « détaché » peut engendrer une économie de 30% entre un Français et un Polonais dans le BTP au vu des écarts de couvertures sociales, d’après un rapport sénatorial de 2013.

Selon ce même rapport, la majorité des salariés détachés en France seraient Polonais, Portugais et Roumains.

300.000, ce serait aussi le nombre des travailleurs étrangers en situation irrégulière ou dissimulés, selon le député PS Gilles Savary, rapporteur de la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale. Parmi les outils déclinés lundi par le ministre du Travail François Rebsamen, figurent notamment des amendes et des contrôles renforcés, et une liste noire d’entreprises condamnées.

Les contrôles seront confiés à des équipes régionales et 175 inspecteurs du travail seront redéployés dans ces unités, a annoncé le ministre lors d’une visite de chantier parisien.

Selon Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), les abus liés au détachement de travailleurs étrangers menacent structurellement le secteur du bâtiment. « Nous refusons de couvrir un modèle économique entièrement basé sur la fraude » a-t-il déclaré.

Vers une lutte interministérielle

Mais pour René de Froment, spécialiste du dossier à la CGT du bâtiment, »la responsabilité du donneur d’ordre doit être plus clairement engagée » dans la loi Savary.

Il a jugé les moyens affectés aux contrôles insuffisants: « 175 inspecteurs déployés dans des équipes spécialisées, c’est de la communication, une petite cuillère pour vider l’océan », selon lui.

Pour Patrick Liébus, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), la lutte doit aussi impliquer les ministères du Budget et de l’Intérieur. « Sans coordination interministérielle et l’implication des douanes, de la police et de la gendarmerie, il n’y a aura que peu d’effets ».

Gilles Savary veut aussi voir plus de débouchés judiciaires et demande l’implication des parquets, pour éviter le « découragement des inspecteurs face à des enquêtes longues et laborieuses qui n’aboutissent pas. »

Il assure que le ministère du Travail espère « récupérer » les 130 douaniers basés en Metz pour l’application de l’écotaxe, désormais reportée sine die. Ils pourraient être réaffectés à la lutte contre le travail illégal.

380 millions d’euros de manque à gagner

Le gouvernement reprend aussi l’idée d’une carte d’identité professionnelle, suggérée par la FFB, gratuite et obligatoire, pour tous les travailleurs de chantier (salariés, intérimaires ou détachés).

« C’est une vieille lune du patronat qui ne servira à rien, et sera très difficile à mettre en place. Quand on fait venir quelqu’un quatre heures sur un chantier, où trouver le temps pour établir la carte? », réagit M. de Froment.

Un scepticisme partagé par Patrick Liébus: « c’est de l’administratif en plus, et il y aura rapidement des fausses cartes » en circulation. En revanche, Jean Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CGPME, y voit un moyen de faciliter les contrôles.

Quant à la liste noire des entreprises condamnées pour abus, la mesure ne fait pas l’unanimité chez les patrons : « une très bonne idée » pour Patrick Liébus, mais « le pilori » pour Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA (artisans), « un sceau de l’infamie » pour la CGPME.

Selon M. Burban, c’est la directive européenne qui doit changer, « car elle n’est plus adaptée à l’Europe telle qu’elle est devenue ».

La Cour des comptes avait estimé à 380 millions d’euros le manque à gagner pour la Sécurité sociale dû à l’emploi de travailleurs détachés.

Le bâtiment est le premier employeur de travailleurs détachés, qui représentent 47% des jours travaillés dans le secteur, selon le ministère du Travail.

(Avec AFP)

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